Pour ceux qui n'ont pas pu ouvrir la 8 ème lettre d'Alain, la voilà :
Histoires d'eaux
Tout a commencé il y a quelques semaines par un orage. Pas très long (ça a duré cinq heures) mais d'une violence et d'une intensité rares (ici, quand il pleut, c'est pas pour de rire). Les rivières et les lacs (il y en a trente-deux sur la ville de Hanoi) ont débordés, la ville s'est trouvée submergée. Pendant une semaine, routes et trottoirs ont disparus pour laisser place à un vaste étang.
C'est là où l'on voit toute la ressource et la capacité d'adaptation des Vietnamiens comme vous pouvez le constater sur les photos jointes. On voit de curieuses choses comme ces personnes qui pêchent dans la rue et revendent dans un stand improvisé les poissons attrapés.
C'est deux semaines plus tard qu'apparait le paradoxe "Il n'y a plus d'eau", la ville ne peut plus nous fournir.
Il nous faut faire venir de la ville voisine des camions d'eau pour approvisionner le centre commercial. Tous les matins, c'est le travail de Dung, mon adjointe, comment trouver les vingt camions nécessaires à notre fonctionnement. J'explique à l'équipe que nous vivons les mêmes angoisses décrites par Marcel Pagnol dans un célèbre roman. Les surnoms n'ont pas tardés. Dung est devenue Dung des Sources, et moi Monsieur (privilège de l'âge et de la fonction) Alain de Florette. Ca a duré une semaine et miraculeusement, on ne sait pas pourquoi, l'eau est revenue. Le problème, c'est qu'elle est revenue dans la nuit et que les deux restaurateurs du troisième étage n'avaient pas fermés leurs robinets. Et bien sûr, l'eau s'est répandue en innondant tous les bureaux. Il nous a fallu faire intervenir des camions pour pomper. A ma grande surprise, c'étaient les mêmes que ceux qui nous approvisionnaient...
Peu de temps après, je reçois un coup de fil du comité populaire de la ville de Hanoi qui m'annonce que notre entreprise a été sélectionnée pour profiter d'un exercice incendie. Ils m'assurent que cela durera très peu de temps et que cela se passera avant l'ouverture du magasin donc sans incidences sur l'activité commerciale. Je les remercie et nous prenons rendez-vous pour la semaine suivante.
Le jour arrive et le moins que l'on puisse dire c'est que l'on ne donnait pas la même signification au mot "exercice" (moi j'avais l'habitude d'un feu de palettes dans la cour que l'on éteignait avec trois extincteurs sous le conseil d'un professionnel du feu).
D'abord arrive le chef de la police du feu (ici, on ne dit pas "pompier" mais "police du feu", ça a une autre allure) entouré de ses lieutenants. Ils sont une bonne douzaine au grands uniformes bardés de médailles, suivis de journalistes presses et TV qui couvrent "l'exercice". Je les reçois en salle de réunion où on nous explique la mission et le timing. Et nous voilà partis sur le parking pour assister à "l'exercice". Là, une estrade a étée montée dans la nuit. Une sono, digne de concerts de rock chargée de commenter l'évènement nous accueuille. Nous voilà donc installés comme à un spectacle sons et lumières. "L'exercice" peut commencer.
Je suis assis à côté du chef de la police du feu qui en même temps qu'il me fait ses commentaires passe ses consignes à ses lieutenants qui se précipitent à la sono qui hurle les ordres. Vingt camions arrivent, une brigade, me dit-il. Ils arrosent la façade du bâtiment. Visiblement, ça lui plaît. Il se tourne vers moi et me dit : "On va faire comme si l'incendie était plus dur à maîtriser que prévu, vous allez voir."
"J'ai vu".
Deux brigades supplémentaires arrivent des camions dans tous les sens, des canons à eau entrent en action. C'est un remake de la Tour Infernale, ça arrose, ça aspeerge dans tous les sens. Ce n'est plus un magasin, c'est une éponge.
Lui, maintenant est debout face à l'estrade, un vrai chef d'orchestre. Il jubile.
Je m'approche du maître pour lui demander où est prise toute cette eau, il répond : "Aux bornes incendie du magasin.", et j'ose un timide : "Et qui paie pour cette eau ?". La réponse me confirme ce que je craignais, de même que la facture du mois. On a utilisé en deux heures, six mois de consommation.
Une fois "l'exercice", -je devrais dire le Peplum- terminé, je le félicite lui et son équipe. Il me remercie et me dit son intérêt de renouveler l'opération l'an prochain. Je suis flatté mais je ne veux pas que l'on puisse dire que Big C bénéficie de mesures de favoritisme et lui propose d'en faire profiter la concurrence. Il me sourit, c'est exactement la même réponse que lui avait fait Métro l'an dernier.